Les festivaliers ont répondu présent en masse à ce dimanche en fanfares malgré les quelques gouttes – peu nombreuses, il est vrai – qui semblaient n’être là que pour rappeler à ceux qui l’auraient oublié qu’on est en Normandie… sans pour autant s’autoriser à gâcher la fête !
Une fois de plus, ce qui frappe en passant d’un concert à l’autre, c’est la diversité des styles, des univers, des ambiances. L’après-midi démarre avec les Portugais de Retimbrar salle Marcel Hélie (lire l’article “Un premier tour au Portugal avec Retimbrar”) et un grand écart entre Toulouse et l’Italie au Magic Mirrors (lire l’article “Pulcinella et Maria Mazzotta : fusion méditerranéenne”).
Pendant ce temps, square de l’Évêché, c’est le moment de la Mafia Normande, version “Deluxe” : le trio de base est ici augmenté du violoniste Frédéric Lebreton et du batteur Benjamin de Saint Léger. Jazz manouche et swing sont au rendez-vous, au travers de reprises de standards et de chansons française du début du siècle dernier. On reconnaîtra entre autres Swing gitan, I Got Rythm ou encore Blue Drag… Le set se termine avec J’suis swing qui s’impose comme une évidence.
En route ensuite pour la Nouvelle Orléans, esplanade des Unelles, avec les parisiens de Nola French Connection – Nola signifie “New Orleans Lousiana” –, un brass band également nourri au hip-hop et au funk : le plein d’énergie et des arrangements au cordeau qui font parfois sonner l’orchestre comme un big band.
De retour square de l’Évêché, c’est en quintet que la Nouvelle Orléans est fêtée : on passe du brass band au marching band avec les musiciens de Swing Corner, bien connus des habitués du Camion Jazz. Saxophone, trompette et sousaphone sont au rendez-vous, sans oublier les traditionnels banjo et washboard, pour nous laisser imaginer que Bourbon Street n’est pas loin.
Dépaysement total, bien loin cette fois de la Nouvelle-Orléans, avec la fanfare “hyper cuivrée” d’Elvis Ajdinović : trois trompettes, trois tuba et un hélicon, rien de moins pour faire sonner cette formation puissante et intense venue de Serbie, fanfare où l’on retrouve notamment frères et cousins du leader.
Décidément, l’on voyage beaucoup cet après-midi à Coutances : après le Portugal, l’Italie, les États-Unis et la Serbie, on revient aux source de tout, en Afrique, et c’est au son des balafons que se termine la journée, avec le Mandé Brass Band qui réunit des musiciens de France, du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire. On a pu déjà les écouter samedi dans les rue de Coutances et on les retrouve avec beaucoup de plaisir salle Marcel Hélie.
C’est un quintet d’exception qui nous attendait ce soir au théâtre, et tout aussi exceptionnellement, les deux concerts de la soirée ont été intervertis, en raison de la fatigue des Américains, qui terminaient ici leur tournée et devaient qui plus est repartir rapidement dans la nuit.
On avait déjà eu l’occasion de tous les entendre à Coutances, hormis Randy Brecker dont c’était la première prestation sous les pommiers. Dave Liebman est un “habitué” : en 2002, il jouait avec Jean-Paul Celea et Wolfgang Reisinger, et c’est en duo avec Jean-Marie Machado qu’il nous revenait en 2009. Un autre duo, en 2005, réunissait Marc Copland et le regretté Gary Peacock. Drew Gress était venu, lui en 2014, aux côtés de Bill Carrothers. Joey Baron, enfin, nous a laissé un impérissable souvenir de son passage au festival en 2004, où il a donné plusieurs concerts tout au long de la semaine, notamment avec Michel Portal qu’on retrouvera d’ailleurs demain soir salle Marcel Hélie.
Les cinq musiciens ont visité au cours de leurs carrières respectives de nombreux territoires du jazz, et même aux frontières du jazz : on pense notamment à la musique sur vitaminée des Brecker Brothers dans les années 70 et à leurs prestations aux côtés de Frank Zappa, ou encore la fructueuse collaboration de Joey Baron avec Bill Frisell. C’est pourtant sur des “fondamentaux” qu’il se retrouvent ici, avec quelques standards, notamment le Mystery Song de Duke Ellington qui ouvre le concert, ou encore All Blues, mais surtout des compositions personnelles où flottent souvent les esprits de Thelonious Monk et de Charlie Mingus. Il y a là aussi des histoires d’amitiés : ainsi, Marc Copland joue avec Michael Brecker depuis une soixantaine d’années, ils se sont connus enfants… Il joue également avec Dave Liebman depuis les années 70. On est donc loin d’un All Star de circonstance, et la connivence entre les musiciens est évidente. On aura apprécié particulièrement au gré des titres le jeu lyrique de Marc Copland, et l’accompagnement toujours subtil de Joey Baron, qui, avec un swing et une énergie sans failles, fait toujours preuve de poésie et d’inventivité : un régal de tous les instants.
Alors oui certes, il y avait aussi parfois un peu de fatigue, mais la musique porte toujours les musiciens au-delà d’eux-mêmes, et il aurait été dommage de manquer ce beau et grand moment de jazz.
Texte et photos : Stéphane Barthod