Le projet de Louis Winsberg Temps Réel porte bien son nom : il s’agit pour les trois musiciens de construire en improvisant chaque concert différent du précédent.
L’aventure a débuté en 2019, mais l’envie en remonte à bien plus loin, lorsque le guitariste rencontre Jean-Luc Di Fraya en 2003, puis Patrice Héral en 2007, à l’époque où celui-ci joue dans l’ONJ de Franck Tortiller. Il a fallu plus de dix ans pour que le projet se concrétise, dans un café à Eygalières : les deux percussionnistes-chanteurs ne s’étaient, eux, encore jamais rencontrés, et la magie a immédiatement opéré, et elle était bien là également ce soir au théâtre de Coutances.
Tout commence avec des percussions à peine frôlées, discrètes, évoquant le bruissement des feuilles sèches en automne… Doucement, la guitare s’immisce, en longues notes subtiles, rejointe par la voix de Patrice Héral, puis le rythme s’installe avec Jean-Luc Di Fraya qui lance le tempo, et Louis Winsberg fait tourner en boucle des accords sur lesquels il improvise. Il y a là un travail considérable sur les timbres de la guitare dont sortent des sonorités inouïes, et sur les voix des trois musiciens, passant par toutes les couleurs imaginables. À la fin du morceau, le guitariste nous précise en souriant qu’ils n’avaient pour tout fil rouge pour improviser que les deux mots Calva Ragga…
On passe ensuite à un “hommage à la musique contemporaine” plein d’humour et de sérieux mêlés, qui commence dans une évocation de la musique concrète chère à Pierre Henry, sur laquelle Patrice Héral prend des voix opératiques, à la fois drôle et techniquement très impressionnant… La suite évoque une sorte de rap reggae, le tout repris en boucle, avec une accélération du tempo, puis un solo distordu et échevelé qui s’achève dans une furie très rock.
Ambiance radicalement différente ensuite, totalement apaisée… Winsberg égrène doucement quelques notes sur son Spakr – une petite guitare à quatre cordes -, la voix de Di Fraya vient y poser un chant orientalisant, qui n’est pas sans évoquer les envolées de Dhafer Youssef. Les percussions s’invitent en se renvoyant la balle et on glisse doucement vers l’Afrique sub-saharienne, avec Patrice Héral, très impressionnant, qui construit couche après couche un tapis de percussions et de voix, formant à lui seul un ensemble au grand complet. Di Fraya revient au chant, intense, et ce tapis instrumental est progressivement accéléré puis ralenti de façon vertigineuse, provoquant un véritable effet de sidération. Un des grands moments de la soirée, assurément.
Pour la quatrième et dernière partie, après une introduction où Patrice Héral s’amuse avec un gonfleur – avec lui, tout fait musique –, Winsberg passe au saz, glissant doucement vers une ligne de basse que Di Fraya rejoint aux balais pour un swing medium très groovant. Mais comme toujours avec ce trio, l’aventure et au détour de chaque note, et l’on repart sur des tonalités orientales, puis hispanisantes. Les musiciens s’amusent avec sérieux, ils creusent un sillon pour mieux rebondir ensuite au détour d’une simple note, d’un détail, d’une sonorité, qui les emmène vers un autre territoire musical… Pour que cela fonctionne, il faut aux musiciens un riche langage musical, une écoute sans failles, une inventivité et une grande polyvalence. Le résultat est ici au-delà de ce qu’on peut imaginer.
Le rappel est très représentatif de cette capacité d’improvisation : Patrice Héral boit un peu d’eau, souffle sur le goulot de la bouteille et s’amuse à chanter sur la note provoquée… La note ne lui convient pas, il boit encore un peu et la note soufflée est descendue… Louis Winsberg commence à poser quelques accords dans la même tonalité, et la musique est lancée ! Après diverses digressions, elle finira par nous emmener aux Antilles, ou peut-être quelque part en Afrique… qui sait ? On sort enthousiastes de ce concert exceptionnel, n’hésitez pas à aller écouter ce trio, vous aurez droit… à un tout autre concert, forcément !
Texte et photos : Stéphane Barthod